La Meije et moi, acte I

            

Comment peut-on s’éprendre d’une montagne ? A vrai dire je ne sais pas trop, mais on peut toujours penser qu’il est possible de le découvrir en interrogeant son propre passé. J’avais a priori peu de dispositions, sauf peut-être ceci :

C’est là que je suis né. C’est dans les Côtes d’Armor (à l’époque, ça s’appelait encore les Côtes du Nord). Certes on voit la mer, belle et forte, et si on joue à fond le déterminisme, on dira que j’aurais pu devenir marin. Mais j’ai dû naître à marée basse et par très basse mer (à Ploumanac’h quand la mer est très basse, c’est à peine si on la voit !), et j’ai dû ne voir que  ce sur quoi je suis perché : le beau rocher de la côte de granit rose…

Pour le reste, je ne trouve pas grand’chose pendant 15 ans. J’ai commencé à pousser à Fontainebleau pendant la guerre…

Là je suis à droite, avec ma mère, mon frère et ma soeur aînés – ça doit être en 1941 ou 1942. Mon père est prisonnier en Allemagne, je ne le verrai qu’en 1945, après avoir participé à la libération de Fontainebleau avec l’armée américaine, en août 44. Sur la photo suivante, je suis perché sur une jeep avec ma frangine. Il y a surtout des femmes autour des soldats, avec sur le visage une joie retenue, presque triste. C’est pour moi un énorme souvenir, et (soi-dit en passant) c’est à cause de lui que je ne peux accepter l’anti-américanisme systématique de beaucoup de gens : je sais à qui je dois ma condition de citoyen d’un pays libre… Je désapprouve profondément l’actuelle politique étrangère des USA, mais je sais qu’elle n’est pas univoque, ni définitive (j’espère).

Revenons à nos moutons : la longue absence du père… l’exaltation de la libération… l’admiration pour le cow-boy casqué venu exprès pour moi… Autant de pistes de l’enquête ?

Après le retour de mon père, la famille est baladée dans différents coins, avec un long séjour à Bourges. Difficile d’y trouver les sources d’une inspiration alpine : les seuls vrais reliefs sont des vieilles pierres. Il est vrai qu’il y en a de pas mal…

Me voilà fringué comme un pingouin, en culottes courtes. C’est dimanche. mon frère aîné (François) porte mon petit frère (Jean-Jacques), l’autre garçon est son correspondant anglais (Desmond). Je ne sais où est cette vieille tour. En tout cas, ce sont là les seules montagnes que j’ai connues, jusqu’au jour où…

Quand j’étais lycéen, je passais une partie des vacances scolaires avec mon oncle André et ma tante Suzette, qui avaient leurs habitudes dans un petit village du haut Oisans : Clavans. C’est un lieu magnifique, au flanc de la sauvage vallée du Ferrand, entre les Grandes Rousses et le plateau d’En-Paris. Mon oncle était un montagnard de la vieille école, absolument pas alpiniste, mais bon marcheur et amoureux de la nature sauvage. Nous voici au col de Sarennes, en 1955.

J’avais 15 ans, des lunettes et un pantalon aussi ringard que celui de mon oncle. Celui-ci n’arrêtait pas de grogner à cause de la tenue du jeune homme en short qui nous accompagnait ce jour-là. Il s’appelait Oscar, c’était un élève du lycée de Béthune où mon oncle enseignait les lettres, et comme il était en vacances par là il lui avait rendu une visite de courtoisie. C’était un garçon charmant, et vestimentairement c’est lui qui avait raison. Mais mon oncle partait du principe qu’on ne se balade pas en petite tenue en montagne. S’il me voyait aujourd’hui ! Je me rappelle que j’avais acheté des chaussures à semelles vibram, sans savoir que c’était le « nec plus ultra » à l’époque. Mais mon oncle ne jurait que par les ailes de mouche, et mes chaussures le faisaient frémir…

C’est quand même grâce à lui que j’ai découvert la haute montagne et que j’ai fait la connaissance de la Meije. Il m’avait expliqué que c’était une montagne particulièrement difficile à gravir, sous-entendu inaccessible à des gens comme nous. Je me demande si je n’ai pas eu inconsciemment l’envie de lui donner tort… Je ne sais à qui est dû ce dessin, daté de septembre 1934. Mais c’est bien cette Meije-là que j’ai vue…

Monter dessus ? Encore fallait-il devenir alpiniste ! J’ai fait mon apprentissage sans jamais passer par le moindre club, la moindre institution, et sans jamais prendre de guide. Je suis un parfait autodidacte, mais je dois confesser que je n’ai pas tout de suite maîtrisé mon sujet. J’ai fait mon premier « 3000 » loin des Alpes, durant l’été 1957 : j’étais allé tout seul en Sicile, en auto-stop, et j’avais fait l’ascension de l’Etna. Ah, le lever du soleil sur la mer Ionienne ! Comme ma famille s’était installée dans la banlieue parisienne, j’ai découvert avec des copains les rochers de Fontainebleau, et c’est là que j’ai appris à grimper. J’aimais particulièrement le secteur de Larchant, notamment les circuits de l’Eléphant et du Maunoury. C’est là que je me suis fait mes premiers compagnons de montagne.

Il ne suffit pas de faire le fier (tiens, j’ai changé de lunettes !) pour devenir un virtuose de l’Alpe. Les premières expériences alpines ont été émaillées de plaies et de bosses. Voilà ce qu’il en coûte de vouloir voler de ses propres ailes ! Cette fois-là, je m’étais profondément ouvert la main en dégringolant sans crampons sur un méchant névé glacé, avec atterrissage dans des lames de schistes.

L’important n’est pas de ne pas faire de bêtises : tout le monde en fait. Les plus forts alpinistes du monde ont tous des histoires abracadabrantes à leur passif, mais en général ils n’en parlent pas. L’essentiel est d’y survivre, d’en tirer la leçon, et d’en faire un facteur d’acquisition d’une expérience. C’est pour cela que j’ai aujourd’hui une certaine comprhension pour les débutants qui font des bêtises, à partir du moment où ils les analysent avec lucidité et qu’ils acceptent la responsabilité qui en découle.

Peu à peu ces petits pas m’ont rapproché de la Meije. J’ai commencé à la courtiser en 1960, avec au début plus de déboires que de succès. La Meije de cette époque était très différente de celle d’aujourd’hui, ne serait-ce que par son aspect physique.

Ici, on voit que la Brèche Zsigmondy (juste à droite du Grand Pic) est parfaitement horizontale. Cet endroit a été dévasté en 1965 par un gigantesque éboulement qui a tout bouleversé et donné aux arêtes de la Meije une silhouette nouvelle. J’ai eu la chance de connaître la Meije d’avant, si bien que je peux témoigner que la traversée a beaucoup perdu du fait de cet éboulement. Il y a aussi une grosse différence au niveau des glaciers, sans parler des refuges. Le Promontoire était une cabane en bois à une seule pièce, évidemment non gardée, qui vacillait par grand vent. Bref : ma première Meije est assurément une Meije d’un autre âge, pour ne pas dire archaïque. C’était le 10 août 1962 et mon compagnon (un Auvergnat) portait un nom prédestiné : il s’appelait Michel Metge ! Aujourd’hui je l’ai complètement perdu de vue, mais si par extraordinaire il tombe sur ce blog, qu’il sache que je garde de lui et de cette journée un souvenir impérissable !

3 Responses to “La Meije et moi, acte I

  • bonjour , mon ex s’est mariée avec un Michel Metje qui est un Lozérien qui doit avoir aujourd’hui autour de 55 ans ou un peu plus . Je crois qu’il travaillait au Canada ou dans des bases du Groendland , mais je sais peu de choses . C’est probablement le frère de Metje du Paris-Dakar .
    Si c’est votre ami , pour le joindre il faut écrire ou téléphoner à sa femme qui s’appelle France Gaillard et qui est orthophoniste à MENDE en Lozère . Elle doit figurer dans les pages jaunes . C’est peut-être votre ami ? amicalement . Jean-Loup Gajac

  • Bonjour à tous,

    fils d’Henri Isselin qui pratiqua la montagne jusqu’à très tard, merci à tous d’évoquer les ouvrages de mon père.

    Vos souvenirs comprennent des noms évocateurs pour les avoir entendu très souvent prononcé par mon père lorsqu’il recevait ses amis alpinistes à la maison.

    C’était un tel passionné de haute montagne qu’il ne nous emmena guère avec lui, mon frère et ma mère, lorsque nous étions enfants.
    A notre age, nous ne pouvions evidemment pas faire l’affaire, mème encordés…
    Nous passions nos vacances à ma mer.

    Il m’entraina toutefois gravir l’Aiguille de la Combe, et mème si guère préparé (j’avais 15 ans), je me souviens avec émotion de cette expérience.

    Aujourdhui, je me contente de longues promenades sur des sentiers de « montagne à vache » avec ma femme et mes 5 enfants, mais je comprend très bien les alpinistes dignes de ce nom ; comme artiste, rien que le spectacle vaut l’effort.

    Amis alpinistes, continuez, vous avez raisons de suivre votre passion, vous êtes sur la bonne voie…

    Un alpiniste

  • Sauf erreur de ma part pour la photo de bourges on dirait l’escalier du palais Jacques Coeur