Le Bastion Central

En attendant le récit (épique !) de l’ouverture du Bastion Central à la face sud de la Troisième Dent de la Meije, je vous livre cet album photos construit avec des images de deux parcours de l’enchaînement Bastion + voie Dibona-Mayer (l’un en 1976, l’autre en 1988). Ces photos ne sont pas toujours de la meilleure qualité, mais je les aime pour leur valeur symbolique. Pour moi, cette voie est l’une des plus belles qui soient. Et elle garde aussi le souvenir de deux amis qui sont tombés ensemble, en septembre 1987, dans la paroi de Glandasse (Vercors). Tous les deux avaient fait cette voie de la Meije avec moi. L’un (Olivier) y faisait sa toute première course en haute montagne, il avait alors 16 ans – vous le verrez sur l’album. L’autre (Hervé Parat) l’a faite le 16 août 1987, donc un mois avant son accident, et ce fut sa dernière course en haute montagne… Ce sont là d’étranges rendez-vous… J’ajoute que l’un des grands copains d’Olivier était James Chevallier, présent dans le sujet sur le Glacier Noir,  qui a disparu l’hiver dernier.

Voir l’album : Meije Troisième Dent face sud directe

La présence de ces jeunes grimpeurs au bout de ma corde peut intriguer. Elle a une explication toute simple. Je travaillais au Lycée d’Albertville, où j’avais pour proviseur un type remarquable, Georges Roche. On s’était beaucoup engueulés en mai 68, tout en gardant des liens d’estime très forts. A l’automne 68, je lui ai proposé de créer un club d’escalade au Lycée, et il m’a donné carte blanche. Je l’ai conçu comme un lieu d’initiation à la « vraie » montagne : escalade en milieu naturel, recherche de l’autonomie, initiation au terrain montagne. Les séances habituelles avaient lieu à Marlens, près d’Ugine, mais chaque fois que possible j’emmenais les volontaires (et les meilleurs) dans les parois des Bornes ou du Vercors, et même en haute montagne (ça commençait souvent par une face sud de la Dibona). Tout cela avec l’approbation de ma hiérarchie et la bénédiction des parents… Il y a eu quelques moments très chauds, mais jamais le moindre accident sérieux. Une seule fois j’ai dû faire le détour par l’hôpital avant de ramener le patient au Lycée (un cuir chevelu à rafistoler).

Au bout d’une dizaine d’années, j’ai développé la même activité dans le cadre du CAF d’Albertville, toujours dans la même optique et avec les mêmes méthodes. Certains doivent se souvenir d’un stage mémorable dans les Alpes Maritimes en 1981… Le top a été en 1982, avec un parcours de la Walker avec un de « mes » jeunes cafistes (en réversible, et dans la journée !).

Tout cela a pris fin à la suite de mes premiers graves pépins physiques à partir de 1983-91. De toute façon je n’aurais jamais pu continuer ce genre de pratique, pas seulement à cause des accidents ou de l’âge. Je ne suis pas guide, je n’ai aucun diplôme, je n’ai jamais opéré qu’en pur bénévole et dans des conditions qui feraient aujourd’hui crier « au fou ». On devait l’être un peu, en effet, mais qu’est-ce que c’était chouette ! Au total j’ai contribué à l’initiation de beaucoup de jeunes. J’en ai écoeuré quelques-uns (pas beaucoup, je pense), beaucoup d’autres ont attrapé le virus, plusieurs sont devenus guides. Et il y a ceux qui ont été dévorés par cette passion. La question sans réponse, c’est de savoir quelle part de responsabilité on porte dans ce cas…

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