Bric-à-brac amoureux de la Meije

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué comme moi : le fait de dessiner des tracés d’itinéraires est une façon d’écrire sur une montagne, ou même sur LA montagne. Bien sûr, on est là un peu dans le registre des jeux de mots. Cependant, il peut être amusant de se demander comment un objet – en l’occurence un sommet – peut devenir un sujet d’inspiration, et quelles peuvent être les formes de sa représentation. Il n’y a pas énormément de montagnes qui soient autant évoquées ou représentées que la Meije : on peut penser au mont Blanc, aux aiguilles d’Arves, au Mont Aiguille, au Cervin ou à l’Eiger. Bien sûr, on pourra toujours trouver une étiquette de fromage de chèvre à l’effigie du Brec de Chambeyron, ou une compét’ à l’enseigne de la Pierra Menta, mais ça n’ira pas beaucoup plus loin. Il existe aussi des montagnes qui séjournent dans le jardin secret d’un artiste de talent : ainsi, l’Epéna a inspiré au peintre Thomas Ostoya de très belles compositions, mais je pense qu’il doit être à peu près le seul  dans son cas [Ep_na_Ostoya.jpg]. Au contraire, la Meije est vraiment une inspiratrice universelle, y compris dans des domaines inattendus.
Il y en aura que l’on peut qualifier de mineurs, par exemple quand il s’agit de babioles ou d’objets de la vie courante, comme cette assiette qui appartenait à la vaisselle de l’hôtel des Alpes de La Grave, aujourd’hui fermé.

Puisqu’on est à table, voici le menu du banquet des GDA du 25 octobre 1896, avec volaille de St-Christophe, grives des Etançons, vin du Clot des Cavales, café Turc (!) et cognac du Père Gaspard :

Dommage que le texte soit quelque peu effacé (c’est une photo de l’original). L’utilisation emblématique est assez fréquente. Elle peut être collective, par exemple quand l’image est utilisée par une association – et ici on peut naturellement penser au CAF, qui a adopté la Meije pour emblème depuis plus d’un siècle, non sans quelques avatars. Le nouvel écusson du CAF a été dessiné par Ernest Brunnarius, architecte et président du CAF d’Albertville, et approuvé par la direction du club au début de 1898. Pour des raisons un peu obscures, il n’est devenu public qu’en 1904 – entre temps Brunnarius avait trouvé la mort dans une avalanche à la Roche Pourrie, au-dessus d’Albertville, en 1901 – et Franz Schrader (un autre architecte…) l’avait redessiné. Cette Meije cafiste a longtemps figuré sur les documents officiels du club, quitte à connaître des adaptations. Voici par exemple le dessin de Shrader (1903) et à côté le dessin qui figure sur la couverture de LM au début de 1940 : on est en plein dans la « Drôle de guerre », et le dessin de la Grande prend subitement une allure plus martiale, tout en faisant bonne place à ce qui était à l’époque la devise du CAF (utilisée depuis 1904, et abandonnée depuis les années 60 (date précise = ?).

L’utilisation emblématique peut aussi bien être complètement privée. Il y a eu pendant longtemps la mode des « ex-libris », qui permettent aux bibliophiles de personnaliser leurs bouquins. Voici par exemple celui de Paul Helbronner, ce géodésien amateur qui réalisa la triangulation des Alpes françaises avant la guerre de 14-18 (il avait fait une station mémorable au sommet de la Meije en juillet 1906).

La toile d’araignée symbolise le réseau dans lequel il avait enserré les Alpes. Au milieu sont les outils de main du géodésien, avec dans la clé sa devise « Perseverantia ». Sur la périphérie, les sommets emblématiques : en haut le Mont-Blanc, en bas le Pelvoux, la Grande Casse et les Ecrins, en haut et à droite la Meije. J’hésite un peu sur le sommet représenté à gauche: on pourrait y reconnaître le Mont Pourri, mais je suis loin d’en être sûr. Quant à l’araignée, serait-ce un autoportrait d’Helbronner lui-même ? Une version moderne, ce pourra être la carte de voeux comme celle de Christophe Moulin, que je me suis amusé à combiner avec cette silhouette (due sauf erreur à Lée Brossé) qui a hanté les pages de La Montagne vers 1905-1910. A un siècle de distance, ce sont deux façons de dire son attachement à la même maîtresse…

Il y a aussi l’utilisation publicitaire, qui peut donner lieu à de petites oeuvres d’art…

La série du PLM est particulièrement remarquable. Elle présente d’ailleurs une caractéristique assez cocasse : l’image de la Meije figure sur une affiche PLM consacrée à… l’Aiguille du Midi de Chamonix ! Malheureusement je n’en possède pas la reproduction (si quelqu’un peut m’aider…). Ce genre de détournement n’est pas exceptionnel. Il existe un éditeur savoyard qui publie une série de romans sous une couverture élégante, toujours illustrée d’un médaillon dans lequel on trouvera une image de la Meije, quel que soit le thème du livre. Cela peut donner des résultats comiques : La face de l’Ogre de Simone Desmaison est illustrée par une image de la Muraille Castelnau, et de même La Vierge des Drus de Daniel Grevoz profite des arêtes de la Meije ; quant aux Noces de cendres d’Emmanuel Ratouis, elles ont droit au Dos d’âne, alors que l’action du roman se situe dans les Aiguilles Dorées… En fait ces illustrations sont tirées d’un album paru à Genève il y a un siècle: La Meije et les Ecrins de Daniel Baud-Bovy, avec des illustrations du peintre Ernest Hareux. Il est probable que l’éditeur en question a acheté les droits de reproduction de ces illustrations, l’ouvrage ayant été réédité en 1994. Et il en tire le bénéfice maximum, sans trop de soucier de l’adéquation de l’image au texte. En voici un échantillon avec une des dernières parutions de la série, sans aucun rapport avec le Doigt de Dieu figurant sur la couverture, si ce n’est qu’il s’agit d’un « roman métaphysique ».

Pour conclure cette première approche, une petite incursion dans le domaine de la philatélie, avec notamment ce timbre peu connu, datant de 1942, du célèbre dessinateur Gandon :

…et cette édition « premier jour » sortie par le CAF à l’occasion de son centenaire, en 1974, qui fut victime d’un mauvais coup du sort. En effet, la sortie a eu lieu presque le même jour que le décès du Président Pompidou (2 avril 1974), si bien que le deuxième événement occulta complètement le premier… Comme quoi on ne peut plus se fier à rien, ni à personne !

Même pas à La Poste : quand elle sort une série d’enveloppes pré-timbrées sur les Alpes, elle en fait une à l’effigie de la Meije, mais c’est le mont Blanc qui occupe la valeur faciale…

J’espère que ce petit sujet touche-à-tout a titillé votre attention et qu’il vous donnera l’envie de lui apporter plein de compléments, car il ne s’agit que d’une ébauche. J’ai bien l’intention de prospecter ce filon, notamment en allant sur le terrain de la chose écrite. Mais le côté « bricoles » est très sympa en soi, et peut être l’occasion de tout un tas de trouvailles. Donc, j’aurai un grand plaisir à recevoir des idées ou des documents, afin de faire mentir ce dessin publié sur Le Monde d’avant-hier :

7 Responses to “Bric-à-brac amoureux de la Meije

  • Mais si on t’aaaaaaaaaaaaaime !

  • Charles
    18 années ago

    Mais bien sûr que si , on aime ton blog : je passe très souvent ici , voir tes nouveaux articles , et j’attend toujours le suivant avec impatience .

  • On l’adore ce blog ! J’y passe souvent pour trouver les nouveaux récits. Il me donne une envie folle de parcourir les magnifiques voies décrites.

  • flying circus
    18 années ago

    c’est un super blog !! informatif, agreable a lire, je passe tous les jours en esperant des nouveautés !!

  • pti Jack
    18 années ago

    tu es comme tout le Monde, tu as besoin d’Amour et de Reconnaissance…
    on doit être un certain nombre à suivre en silence le feuilleton de la Meije et autres disgressions !!à+bises

  • Fredzoun
    18 années ago

    Ce qu’il y a de formidable, c’est que tes récits épiques & photographiques font réver les yeux ouverts ! Et on s’instruit, en plus…

  • Comme toute les choses spécialisé, il faut ce faire connaitre. Moi j’ai trouvé ce blog vraiment intérressant. Enregistrez vous sur des annuaire blog
    ou des site sur la montagne si vous voulez des visites. ( je dois dire que je vous est trouvé par hasard ). Bonne continuations.